L'essentiel est invisible pour les yeux

Samedi 19 octobre 2019, 19h : « Il paraît que Clovis est mort » c'est sur ces mots que Jean, l'un de mes meilleurs amis m'annonce, au téléphone, la nouvelle brutale. Une nouvelle rempli de doutes. L'information est à vérifier. Je m’empresse de contacter la mère de Clovis, elle me confirme sa mort. Un accident brutal, en fin de nuit, sur un pont à Nantes, il rentrait chez lui après une longue nuit festive. Il avait 30 ans.
La tristesse est énorme, l'incompréhension, le rejet de la nouvelle, tout se mélange.
15 ans d'amitié forte, de fraternité, de créations, de fêtes, de discutions, de rire, de colère, des répét', des concerts, des réunions d'asso, du bénévolat, des vacances, des manifs, des sessions skate, de la route, des bars, des après-midi, des afters, des tournages vidéos, des prises de tête, des repas, des sessions photos, du collage d'affiche, des vendanges... 15 ans de vie ensemble.
Tout s’arrête brutalement.
J'ai besoin de voir nos proches. La distance ne me permet pas de voir mes amis tout de suite. Il se passera trois jours, trois jours compliqués entre coups de téléphones et désarroi total.
Je ressens le besoin de faire des photos également.

Mardi après-midi nous nous retrouvons au funérarium avec Mathieu, Florian, Kelly... Nous allons voir le corps. Cette situation, encore abstraite jusqu'à présent, commence tout juste à se figurer. « On va boire des canettes au skate-parc », comme à l'époque du lycée, le début de notre amitié. D'autres nous rejoignent là-bas, Maude, Nico, Alex, Dav'. Nous apprenons que le collectif d'artistes et artisans dont il faisait partie organise une soirée hommage le lendemain, à Nantes. C'est là où il vivait et travaillait depuis plusieurs années. On veut être présent.

Mercredi, nous rejoignent Lili, Justine, Titan, Jean... nous retournons au funérarium ensuite nous partons à une dizaine pour Nantes. Le trajet est long. Nous arrivons de nuit au Hangar, il y a beaucoup de monde, ses amis, ses collègues, ses potes. Voir son lieu de vie avec des photos de lui sur la porte de sa chambre, des fleurs et des bouteilles posées devant, c'est très dur mais ça fait du bien. Nous sommes au milieu de son atelier, de ses guitares et ses outils, de ses skates et ses chemises à carreaux. Il est omniprésent et tellement absent. La soirée est longue et arrosée, remplie de tristesse, d'amour et de souvenirs partagés.

Jeudi, nous rentrons en Sarthe, nous allons voir, avec sa famille le lieu de dispersion des cendres. Nous décidons de l'endroit où un chêne sera planté. Ce lieu surplombe la vallée de la Dême, les vignes de Maude sont là, sa cave en contrebas, l'endroit idéal. Nous y avions fait les vendanges ensemble trois semaines plus tôt.
Le soir d'autres amis sont présents, Julie, Margaux, Stan, Samy, Caro, Arthur, Karim... nous mangeons tous ensemble à l'Atelier, un lieu tellement mythique de notre vie commune.

Vendredi, départ pour le crématorium, 45 minutes interminables. Nous suivons le cortège funéraire, avec sa famille. Nous arrivons les derniers. Après la traversée d'une zone commerciale vide de sens, l'émotion envahit le minibus quand nous arrivons face à la foule qui attend. Des gens des tous horizons, de tous âges, beaucoup de jeunes, toutes ses familles sont présentes. Énormément de visages familiers. C'est poignant.
La cérémonie est forte en émotions ; beaucoup de monde, des très beaux discours, de la musique, des rires et beaucoup de pleurs.
Le soir nous organisons un hommage qui lui ressemble : concerts, machines à pression, repas partagé, avec tous ses frères et soeurs. Un moment indispensable pour se retrouver, se parler et s'aimer. « On a perdu un frère, mais on en a retrouvé 150 ». Clovis était un formidable trait d'union entre tous ces gens. A cette soirée, les liens qu'il avait créés tout au long de sa vie, étaient bien vivants et renforcés. C'est peut être ça la vie après la mort.

Samedi matin, nous montons dans les vignes, avec un léger mal de crâne et beaucoup de fatigue. Les cendres sont dispersées par sa maman, l'arbre est planté collectivement, dans le silence.
Et nous restons là, ensemble, tristes et anéantis mais ensemble.

Une partie de nous est morte avec toi sur ce pont ce 19 octobre. Une partie de toi restera toujours vivante en nous.

« On ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux » Le Renard explique sa vision de l'amitié au Petit Prince. Ces mots ont été prononcés durant la cérémonie et résonnent encore aujourd'hui.

Ces photos ont été faites par besoin. Montrer l'absence, accepter la mort. Essayer en vain de capter ce que le coeur voit mieux que les yeux.